Genèses médiévales de la matière bretonne : construire le passé breton dans la production historiographique de l'espace du royaume de France, Ve-XVIe siècles

FLOCH David
Directeur / directrice de thèse
Directeur / directrice de thèse hors CRULH
COLLARD Franck (Paris-Ouest-Nanterre

Cette thèse a pour objet la production d'une histoire des Bretons armoricains au sein du corpus historiographique médiéval, dans un espace correspondant aux anciennes provinces des Gaules puis au royaume des Francs. Comment un récit, rendant compte de l'émergence de cette gens Britonum dans le passé du royaume des Francs, se constitua t-il ? Comment une vulgate historiographique de la matière bretonne en vint-elle à se structurer et se sédimenter au fil du temps en une « histoire des Bretons » rétrospective, autour de quelques événements centraux ? Comment ses composantes sont-elles reconfigurées dans chaque contexte d'écriture ? Comment parvint-elle à s'imposer à l'ensemble de la production historiographique ? Comment les sources médiévales choisissant de relater des épisodes bretons cherchèrent-elles à présenter cette histoire à travers une matière dont la cohérence répondait à leur imaginaire ? L'enquête chercherait à montrer comment se sédimenta la perception d'une Bretagne associant un territoire, une gens et une conception synthétique du passé, à travers l'autorité d'une mise en récit. Alors que rien, dans les sources occidentales et orientales produites au cours du Vème siècle, n'identifiait les Bretons autrement que comme des habitants de provinces qui avaient été romaines, pourvus d'une identité romaine-chrétienne, les sources narratives des siècles suivants témoignent de l'attribution d'une identité ethnique à des groupes désignés comme « bretons » et localisés tant en Gaule qu'en Grande-Bretagne. Le problème suscité par la mise en récit d'un passé breton n'est donc pas tant de rendre compte de leur installation dans un territoire romain (une partie de la Gaule du Nord-Ouest) à l'issue d'une migration depuis une zone barbare, que de répondre de ce qu'ils se seraient séparés du monde romain dont ils étaient issus. C'est le fait que, selon les récits influencés par Bède le Vénérable, leur émergence comme gens procède d'une désaffiliation vis-à-vis de l'Église romaine englobante qui est vu comme un problème. Non sans contradiction : la production d'un tel récit pouvait aussi servir à justifier la mise à l'écart des Bretons, donc à opérer contre eux la même désaffiliation qui leur était reprochée. Cette séparation supposément délibérée se présente comme un défaut d'être : les Bretons ne deviennent un groupe ethnique que sur le fond d'une perte de leur identité romaine et chrétienne de départ. La production de tels récits du passé breton répond donc à la recherche des marges imaginaires de la Chrétienté occidentale elle-même, marges que les Bretons, inventés comme tels, incarnèrent longtemps.